CATHERINE DE ROQUEFEUIL.

 

 

Au décés d'Arnaud, le gouverneur de Montpellier crut que la circonstance était favorable pour satisfaire sa passion à l'égard des de Roquefeuil. Il entreprit une nouvelle campagne contre eux et commit injustices sur injustices, "mala malis cumulando". Quand le deuil couvrait le chateau du Pouget, il n'eut pas honte d'envoyer le procureur du Roi, Jean Roget, pour réitérer la saisie sur les lieux et les biens de cette illustre maison, qui avait rendu tant de services au Roi et à la France.

Le procureur vint donc frapper il la porte du manoir attristé, et il exhiba, pour justifier les manoeuvres, auxquelles il prêtait sa main, des lettres que l'homme dont il était le mandataire avait jadis obtenues contre le seigneur de Paulhan, dans une affaire qu'il disait ressembler à celle du sieur du Pouget. On eut beau lui démontrer que ces deux affaires n'avaient aucun rapport entr'eIles; On lui prouva, en vain, qu'en tout cas nulle exécution ne devait avoir lieu,à raison des frais funéraires qui restaient à payer; la malheureuse héritière eut à déguerpir de la maison seigneuriale, sur laquelle les scellés furent appliqués sans retard. Quelques jours après, avec le sergent Jacques Vitalis, Roget vint irnposer au Pouget des officiers de son choix à la place de ceux du seigneur. Il fit bien plus: il se transporta de nuit au château de Saint-Bauzille, ou[ s'était retirée la fille d'Atnaud, et, prétextant qu'il était spécialement chargé des appels qu'on portait au parlement, il brisa à grands fracas les coffres qui contenaient les titres, lettres et documents originaux, concernant l'affaire soumise au parlement. La seigneuresse, irritée de ces procédés inqualifiables, se plaignait amèrement; elle fut accablée d'injures et menacée. Le procureur, ayant accompli sa besogne, s'éloigna en emportant, on ne sait où, les nombreux papiers qu'il avait volés dans le but de rendre impossibles les appellations des maîtres du Pouget .

Catherine de Roquefeuil s'empressa de faire parvenir ses plaintes au Roi. Il était de toute évidence que le gouverneur avait dépassé ses droits, Car le parlement., qui était saisi du procès, devait seul le juger. Donc, le gouverneur avait attenté au pouvoir du Roi; aussi bien le Prince écrivit au juge-mage de Saint-Affrique d'avoir à ajourner devant son tribunal 1e gouverneur et de convoquer le procureur et les parties devant lui.

En attendant l'arrêt de la Haute Cour, Gilbert Durand devait au nom du Roi, casser tous actes attentatoires aux privilèges du parlement, rétablir les choses dans leur êtat primitif, rendre par conséquent à la plaignante ses terres, lieux et juridictions, et lui faire restituer les pièces et documents dont on l'avait violemment dépouillée. Il avait l'ordre, en outre, d'informer avec soin et secrètement à l'occasion des abus qui avaient été signalés et de faire punir avec sévérité les personnes qui auraient été reconnues coupables.

Le juge Durand se rendit au lieu du Pouget, où il fit arriver le procureur du Roi et lui communiqua les Lettres-royaux. Il le mit ensuite en présence de la seigneuresse, et après les avoir entendus, il rendit son jugement, d'abord sur la première saisie qui avait eu pour résultat de dépouiller Arnaud du lieu de Pouget, à cause des actes de rébellion attribués à ce seigneur. Le procureur, n'ayant pu fournir les piéces originales de l'information qui avait été faite, affirma néanmoins ne pas s'être écarté du droit suivi dans les parties du Languedoc. Cependant les informations du juge de Gignac et les dires de Catherine de Roquefeuil étaient formellement contraires à ses allégations. C'est pourquoi le juge restitua à la demanderesse le lieu du Pouget, sa juridiction et ses revenus, et l'autorisa à gouverner par elle même ou par les siens, son domaine, duquel il donna main levée jusqu'au jour où l'affaire, pendante en la redou:able cour du parlement, serait réglée par le Roi. Quant à la deuxième saisie, qui avait eu pour objet tout le reste de la Baronnie, et qui avait été faite après les appellations, elle eut le même sort que la première: " Attendu, dit le juge,que le procureur du Roi de Montpellier ne nous a donné aucune raison suffisante pour justifier une semblable saisic, et vu le titre de la donation du roi de Majorque, la confirmation ou approbation du roi de France, la prestation du serment de fidélité et l'hommage faits par ordre du Roi devant le sénéchal de Carcassonne; considérant que tout ce qui a été fait, saisie et autres choses, n'a été accompli qu'après l'appel et malgré l'appel du seigneur Arnaud, par innovation et attentat per modum innovatorium et attemptorium nous révoquons tout et rétablissons les choses en l'état premier; ordonnant à tous et à chacun des habitants du Pouget et autres lieux de reconnaitre la juridiction et les droits de Catherine de Roquefeuil et de lui être soumis comme ils l'étaient à son prédécesseur, avant la saisie; défendant, au nom du Roi, à tous baïles, collecteurs et autres officiers de troubler les officiers de la Seigneuresse, tant que la Cour de Parlement n'aura pas statué, sous peine d'une amende de 100 marcs d'argent. Et pour que personne ne prétexte ignorance, l'ordonnance présente sera publiée à son de trompe dans les lieux du Pouget, de Vendémian, de Saint-Bauzille et dans tous ceux dont il est fait mention dans notre Lettre de Commission, 6 fév. 1395.

L'ordonnance du juge-mage fut mise à exécution, et Catherine de Roquefeuil, étant reconnue comme l'héritière de tous les droits de son père, fut proclamée seigneuresse de toute la Baronnie. Or, Catherine conserva les lieux, terres et Juridictions que lui avait légués Arnaud de Roquefeuil, pour les transmettre, à sa mort, 1409, au fils qu'elle avait de Jean de Blanquefort: on voit par là que l'arrêt du parlement ne rut pas en faveur des gens du Pouget.

Guillem de Roquefeuil, que nous avons vu combattre contre les Anglais, à côté d'Arnaud de Roquefeuil, en Agenois, possédait, en 1396, des terres dans les Baronnies de Montpellier et d'Aumelas, qu'il tenait sans doute du seigneur du Pouget, comme il tenait de lui la seigneurie de Bersouls (de Verseriis). Ayant cu à rendre au Roi l'hommage pour ses terres, il avait fait valoir les rigueurs de la saison de l'hiver, son grand àge et autres raisons,, afin d'obtenir l'ajournement de son serment de fidélité (Lettre du sênêchal de Carcassonne-Lestang).

Cette même année, Hugues d'Arpajon, qui s'était vu saisir Plaissan et Adissan pour motif d'hommage non fait, put recouvrer ces terres. Jean de Faya, trésorier~génêral des Baronnies de Montpellier et d'Aumelas, le rétablit dans ses droits, dès qu'il lui eut remis son dénombrement (Arch. de Lestang).

Il est difficile de comprendre la conduite de ces seigneurs qui, feudataires du Baron du Pouget, reconnaissent néanmoins tenir leurs biens directement du Roi. Ce fait se renouvellera pour Plaissan et Adissan en l483, en 1539 et en 1680 ; pour Tressan, en 1540 et en 1564 pour Popian, en 1634 pour Jourmac et Carobettes, en 1624. Dans le procès qu'ils feront au XVllIe siêcle aux Barons du Pouget, pour leur contester la mouvance de tous les lieux de la Baronnie, les Vicomtes d'Aumelas tireront parti de ces circonstances, à l'effet de s'attribuer les fruits de ces lieux, comme ayant droit du Roi par la vertu de leur engagement. Mais outre que les sieurs du Pouget pourront présenter certains hommages qu'ils auront reçus, il ne paraîtra pas que les Vicomtes soient bien convaincus de la justice de leurs prêtentions puisqu'ils en arriveront à invoquer la prescription en faveur du Roi. Nous n'avons d'autres moyens d'expliquer cette confusion de mouvances que le trouble qui régna longtemps dans le Royaume et l'indifférence des de Roquefeuil, qui résidaient le plus souvent hors de leur Baronnie.

 

Pierre Guitard posséda le château de Lestang jusqu'à sa mort, 1398. en 1381, il était sénéchal d'Agenois. La France pontificale signale à cette date un Bernârd Guitard, viguier à la cour épiscopale de Béziers, et l'Histoire de Languedoc parle d'un Jean Guitard, conseiller de la Langue d'Oc, à Montpellier, concurremment avec Jean de Roquefeuil et Jean de Narbonne, en 1359. Pierre avait. désigné, dans son testament du 1er août 1397, comme ses héritiers, Étienne et Pons, fils d'Aymeric Guitard, ses neveux, dont l'un était mineur,

Comme la succession était grevée de dettes, Lestang, l'une des terres de Pierre, fut mis en vente et acheté par Leudegaîre ou Léger Saporis, docteur ès-lettres, et Pons Sapons, damoiseau, tous deux fils de Saporis, conseigneur de Pignan, au prix ds 1200 francs d'or. Le contrat de vente fut passé à Tressan par devant La Fare, délégué de Guillaume Saquet, gouverneur de Montpellier, et avec son autorisation "Nous Étienne et Pierre Guitard, et Donat Rotbald, curateur de Pierre, vendons et délaissons à vous, Leudegaire et Pons Saporis, tout le château de Lestang que confrontent quatre voies publiques...' où nous avons haute et basse justice,. ... pour la somme de 800 francs d'or en ce qui concerne le château et ses dépendances, et 400 francs d'or pour ce qui est tenu en fief du prieur de Saint-Amans-de Teulet, de Pierre de Montdardier et de Pataut, et aussi pour la vaisselle vinaire ".

Assis sur un banc de bois en guise de tribunal, dans la maison du prieur Hugues Martel, La Fare, dit l'acte, accueillit la demande des Guitard relative à la permission de vendre, et, "la cause entendue il approuva la transaction " et perçut le lods. " Les créanciers touchèrent 800 liv. tourn., 1398.

 

Il y eut sans doute des difficultés, au Pouget, à l'occasion des mesures dont se servaient les courtiers, puisque ces mesures durent être saisies au nom du Roi. Les principales mesures de l'époque étaient l'émine, la quarte, la punière; le sétier et le muid étaient formées par elles. Un certain Pierre Guiraud, député pour faire la vérification des mesures du Pouget, fit appeler les plus anciens du lieu; ils déclarérent qu'il n'y avait pas dans le village de mesures modèles. On trouva cependant deux mesures portant la marque de la communauté, l'une chez Bernard Portier, et l'autre chez Guillaumette Alsonne. Comme elles paraissaient plus avantageuses que toutes les autres, et aussi plus légales, on les adopta pour types, et on régla qu'on ne pourrait user de celles qui ne leur seraient pas conformes, sous peine d'une amende de 100 liv. tourn. Les nouvelles mesures devaient porter l'empreinte d'une fleur de lys, et au-dessous celle du sceau consulaire, appliquées, au moyen d'un fer rougi, en présence du bayle. Les étalons devaient rester dans la maison commune.

 

Le XIVe siècle touchait à sa fin. Il avait amené dans nos pays de grands changements et de vrais progrès, mais aussi de graves malheurs et des épreuves de toute espèce. La guerre, la peste , la famine avaient, à plusieurs reprises, rempli de désolation les villages et les campagnes. La vérification des feux, faite en 1399 dans les sénéchaussées de Carcassonne, Beaucaire etToulouse, établit qu'au Pouget il n'y avait que onze hommes capables de payer les tailles; à Pouzols on n'en trouva qu'un seul; à Popian on en compta trois; àSaint-Bauzille, trois; à Paulhan, six; à Vendémian, huit; à Saint-Amans, un; à Aumelas, cinq; à Plaissan, deux. Depuis la peste de 1390 les temps étaient devenus si durs que la plus grande partie des habitants avaient émigré en Aragon. Pour les faire rentrer dans leurs villages, le roi de France leur offrit des conditions avantageuses. (Arch. de Lest.)

 

L'on put prévoir, dès les premières annèes du XVe siècle, qu'il y aurait de grandes luttes entre les seigneurs et les communautés. Le village de Paulhan osa contester au sieur de Veyrac le droit d'introduire ses troupeaux dans les terres des partculiers et entreprit un procès qui, après des péripéties sans nombre, ne se termina qu'au XVIIe siècle, mais tout à son avantage. Partout les communautés maintinrent avec une énergie remarquable les franchises qu'elles possédaient déjà, et travaillèrent à en conquérir de nouveIles par tous les moyens, et quelquefois d'une manière violente. Les habitants du Pouget affirmèrent leur droit sur les murailles du lieu qui leur avaient été cédées en 1387, et comme elles menaçaient ruine, ils voulurent les réparer, malgré la Baronne. Le syndicat de 1395 confiait cette charge aux syndics; ceux-ci obtinrent du roi Charles des Lettres-royaux qui les autorisèrent à rebâtir, et leur permirent en même temps d'employer les matériaux de maisons champêtres inhabitées, 1408. Cette même année, la seigneùresse ayant prohibé la chasse aux pigeons, les syndics firent appel au parlement de Paris. (Arch. de Lestang).

Les Roquefeuil